Parcourir sa route et rencontrer des merveilles, voilà le grand thème — spécialement le tien.
Cesare Pavese, Le métier de vivre

Mounna

Mes sentiments à l’égard de ma vie professionnelle sont très mitigés. Conflictuels. Entre la fierté et l'admiration pour la fille d'un pompiste et d’une femme de ménage qui a réussi à intégrer des boîtes connues avec des postes à hautes responsabilités et une réussite financière, l'impression de correspondre à l’image de cette femme que j’avais, une femme d'affaire, une business woman importante qui allait recevoir des prix. Donc il y a une fierté. Mais il y a aussi un goût amer : la déception, une grande déception. Je pensais que toute cette réussite donnerait lieu à un grand bonheur, une joie de vivre, et j'ai une grande déception par rapport au vide auquel ça m'a conduite, un vide intérieur.
Toute cette réussite a déclenché une grande crise intérieure, une insatisfaction, une impossibilité à être comblée. Je croyais que la réussite professionnelle allait me projeter dans une vie heureuse mais en fait je me suis retrouvée seule, déconnectée. J'atteignais mes buts mais avec un fossé intérieur, une très grande solitude.
Aujourd'hui l'idée de la réussite me fait peur. Je remets en question ce qui m'est arrivé et me demande : c'est quoi le bonheur pour moi ?
J’en suis même arrivée à penser que la réussite professionnelle était en fait un échec dans ma vie. J'avais plus d'entrain et de joie de vivre avant.
J'ai beaucoup voyagé, j'ai pris des risques professionnels et chaque fois ça a payé.
J'ai déménagé, j'ai été juriste, j'ai monté une start-up, je suis passée dans un grand groupe, ça a modifié le regard des gens sur moi. Quand j'ai créé ma boîte, j’ai éprouvé une liberté incroyable, le ciel était la limite, après je me suis retrouvée dans des entreprises très codifiées mais je pouvais toujours faire quelque chose.
Je mets la meilleure part de moi-même dans ma vie professionnelle. J'essaie toujours de me mettre dans la peau des autres. Je n'aime pas perdre, je fais tout pour gagner. Je suis motivée, déterminée, je suis une de ces personnes qui se tuent au travail. Je me suis tuée au travail. Ma loyauté, mon intégrité, mon éthique morale au travail est extrêmement haute, je suis intransigeante avec moi-même, je ne me donne pas le droit à l'erreur. Donc il y avait beaucoup de culpabilité en même temps.
Qu'est-ce qui prend de l'énergie et n'en rend pas finalement ?
Si je me connaissais mieux, j'aurais pris des décisions plus en accord avec mon for intérieur.
Mon opinion de moi-même était très liée à ma vie professionnelle, elle l'est beaucoup moins aujourd'hui.
J'ai un conflit interne : j'aimerais bien aller faire pousser des légumes dans un jardin. Et en même temps je me dis : est-ce ça la vie ? N’est-ce pas plutôt remonter une boîte ? Pourquoi ne pas me focaliser sur ce que je ferais de mieux ? Est-ce que ça me rendra heureuse de planter des légumes dans un potager ? Je n'ai plus confiance dans mon opinion sur ma vie professionnelle. Qu'est-ce que ça veut dire une vie professionnelle ? Dois-je utiliser mes talents et les optimiser ? Ou bien dois-je utiliser d'autres talents ? J'écoute qui ? La machine en moi ou une autre voix que je cherche encore?
Les notions de réussite ou échecs ne sont pas permanentes, ce sont des notions qui changent.