Parcourir sa route et rencontrer des merveilles, voilà le grand thème — spécialement le tien.
Cesare Pavese, Le métier de vivre

Citations

Citations

Mémoires du métier

« On est attaché à sa profession un peu comme on l’est à son pays : par des liens aussi complexes, souvent ambivalents, et dont on ne saisit généralement toute l’importance que lorsqu’ils viennent à se rompre, par suite de l’exil ou de l’émigration dans le cas du pays, avec le départ à la retraite dans le cas du métier. J’ai quitté le métier de chimiste depuis quelques années déjà, mais c’est aujourd’hui seulement que je puis jouir du recul nécessaire pour le considérer dans son entier et pour comprendre combien j’en suis pénétré et tout ce que je lui dois. »
Primo Levi, Le métier des autres.

« METIER (…) Je ne sais pourquoi on a attaché une idée vile à ce mot ; c’est des métiers que nous tenons toutes choses nécessaires à la vie (…) Le poète, le philosophe, l’orateur, le ministre, le guerrier, le héros seraient tout nus et manqueraient de pain sans cet artisan objet de son mépris cruel. »
Diderot (Encyclopédie)

« (…) ce n’est point un talent que je vous demande, c’est un métier, un vrai métier, un art purement mécanique, où les mains travaillent plus que la tête (…) »
Rousseau, Emile III

« Un ouvrier de cinquante ans, qui, depuis sa quinzième année n’avait jamais fait que la même tâche qui consistait à planter, avec une machine, des crins dans le manche d’une brosse, s’écriait avec douleur : « Je n’aurai donc jamais de métier ! Ce que je fais, ce n’est pas un métier ! » Son cri rendait hommage à la réalité créatrice, à la qualité spirituelle du métier véritable, c’est-à-dire de l’effort par lequel l’homme s’affirme au lieu de sentir l’exigence de la besogne comme une fatalité. »
Daniel-Rops, Ce qui meurt et ce qui naît

Coupeau terminait alors la toiture d’une maison neuve, à trois étages. Ce jour-là, il devait justement poser les dernières feuilles de zinc. Comme le toit était presque plat, il y avait installé son établi, un large volet sur deux tréteaux. Un beau soleil de mai se couchait, dorant les cheminées. Et, tout là-haut, dans le ciel clair, l’ouvrier taillait tranquillement son zinc à coups de cisaille, penché sur l’établi, pareil à un tailleur coupant chez lui une paire de culottes. Contre le mur de la maison voisine, son aide, un gamin de dix-sept ans, fluet et blond, entretenait le feu du réchaud en manœuvrant un énorme soufflet, dont chaque haleine faisait envoler un pétillement d’étincelles.
— Hé ! Zidore, mets les fers ! cria Coupeau. L’aide enfonça les fers à souder au milieu de la braise, d’un rose pâle dans le plein jour. Puis, il se remit à souffler. Coupeau tenait la dernière feuille de zinc. Elle restait à poser au bord du toit, près de la gouttière ; là, il y avait une brusque pente, et le trou béant de la rue se creusait. Le zingueur, comme chez lui, en chaussons de lisières, s’avança, traînant les pieds, sifflotant l’air d’Ohé ! les p’tits agneaux ! Arrivé devant le trou, il se laissa couler, s’arc-bouta d’un genou contre la maçonnerie d’une cheminée, resta à moitié chemin du pavé. Une de ses jambes pendait. Quand il se renversait pour appeler cette couleuvre de Zidore, il se rattrapait à un coin de la maçonnerie, à cause du trottoir, là-bas, sous lui.
Emile Zola - L'assommoir - Extrait du chapitre 4

Dans l’ordre nouveau, le simple écoulement du temps nécessaire pour acquérir un savoir-faire ne saurait donner à qui que ce soit une position et des droits : une valeur au sens matériel du terme. (…) Le régime ne voit que les capacités immédiates.
Richard Sennett, Le travail sans qualités

Mots du métier

"Comprenez-vous les acronymes du monde du travail ?
Qu’est-ce qu’un DIF ? Droit Individuel de Formation.
Qu’est-ce que le DAVA ? Dispositif Académique de Validation des Acquis.
Qu’est-ce qu’un PSE ? Plan de Sauvegarde de l’Emploi.
Qu’est-ce qu’un TMS ? Trouble Musculo-Squelettique.
Qu’est-ce qu’un CET ? Compte-Epargne Temps.
Qu’est-ce que l’AGIRC ? Association Générale des Institutions des Retraites des Cadres.
Qu’est-ce qu’un CSP ? Un Contrat de Sécurisation Professionnelle.
Qu’est-ce que le SMIC ? Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance.
Qu’est-ce que les URSSAF ? Union de Recouvrement des Cotisations de Sécurité Sociale et d'Allocations Familiales.
Qu’est-ce que les ASSEDIC ? ASSociation pour l’Emploi Dans l’Industrie et le Commerce.
Qu’est-ce que le FONGECIF ? Fonds de Gestion du Congé Individuel de formation."

Journal du Net

"La langue crée le réel ; en choisissant sa langue, on choisit son réel."
Roland Barthes, Le neutre

"L’adjectif venu de mon extérieur dérange le Neutre en quoi je trouve ma quiétude : je me fatigue d’être qualifié, je me repose de ne pas l’être. Subjectivement, en tant que sujet, je ne me sens jamais adjectivé, et c’est cette sorte d’anesthésie adjective qui fonde en moi la postulation du Neutre."
Roland Barthes Le neutre

"Chaque fois que dans mon plaisir, mon désir ou mon chagrin, je suis réduit par la parole de l’autre (souvent bien intentionnée, innocente) à un cas qui relève très normalement d’une explication ou d’une classification générale, je sens qu’il y a manquement au principe de délicatesse."
Roland Barthes Le neutre

"Combien de fois, dans notre vie, nous avons affaire à des gens « francs » (c’est-à-dire qui se vantent de l’être) : en général cela annonce une petite "agression" : on se dédouane d’être indélicat (sans délicatesse) ; mais ce qu’il y a de pire avec la franchise, c’est qu’elle est en général une porte ouverte, et grande ouverte, sur la bêtise.
Roland Barthes Le neutre

"La parole est un geste et sa signification un monde."
Maurice Merleau-Ponty

"Il est possible de détruire quelqu'un juste avec des mots, des regards, des sous-entendus : cela se nomme violence perverse ou harcèlement moral. » Marie-France Hirigoyen Le harcèlement moral

"Nous briserons les murs de l’usine pour y faire pénétrer la lumière et le monde. Nous organiserons notre travail, nous produirons d’autres objets, nous serons tous savants et soudeurs, écrivains et laboureurs. Nous inventerons des langues nouvelles. Nous dissiperons l’abrutissement et la routine."
Robert Linhart, L’Etabli

"(…) notre méthode nous permettra d’éprouver dans sa spécificité le caractère tonique des espérances légères, des espérances qui ne peuvent pas tromper parce qu’elles sont légères, des espérances qui s’associent à des mots qui ont en nous un avenir immédiat, à des mots espérants, à des mots qui font découvrir soudain une idée nouvelle, rajeunie, vivante, une idée qui est à nous seuls comme un bien nouveau. Le verbe n’est-il pas la première allégresse ? La parole a une tonicité si elle espère. Elle va se brouiller si elle craint."
Gaston Bachelard, L’Air et les Songes

Mon Dieu, mais alors qu’avez-vous à votre actif ?
Moi ? Une vitalité désespérée.
Pier Paolo Pasolini

Sur le corps au travail

« Tout travail suppose une mobilisation physique, cognitive et subjective de celui ou celle qui l’exerce, en lien avec d’autres acteurs, dans un cadre partiellement contraint, mobilisation que les ergonomes appellent « activité de travail ».

« Le travail peut être source de développement des individus et des sociétés mais il peut aussi engendrer contraintes et souffrances. Le travail engage celui qui le réalise : par l’effort, le corps intensément mobilisé en tant qu’instrument du pouvoir d’agir, et par le geste technique/professionnel qui constitue la modalité opérationnelle située, finalisée et socialement construite de ce pouvoir d’agir, les travailleurs tentent de gérer à leur manière les contradictions éventuelles des interactions avec leur milieu (Coutarel, 2008). De cette tension corporellement ancrée avec son milieu, le travailleur ne sort pas inchangé : développement personnel, reconnaissance, estime de soi… ou bien souffrance, stress, troubles musculo- squelettiques. Face à cette seconde alternative, le désengagement ou la posture de retrait vis-à-vis du travail constituent souvent d’ultimes et éphémères défenses.
Coutarel Fabien et Andrieu Bernard, « Corps au travail », Corps, 2009/1 n° 6, p. 11-13.

Extraits de « L’établi », Robert Linhart, Editions de Minuit, 1978/1981

« Et si l’on se disait que rien n’a aucune importance, qu’il suffit de s’habituer à faire les mêmes gestes d’une façon toujours identique, dans un temps toujours identique, en n’aspirant plus qu’à la perfection placide de la machine ? Tentation de la mort. Mais la vie se rebiffe et résiste. L’organisme résiste. Les muscles résistent. Les nerfs résistent. Quelque chose, dans le corps et dans la tête, s’arc-boute contre la répétition et le néant. La vie : un geste plus rapide, un bras qui retombe à contretemps, un pas plus lent, une bouffée d’irrégularité, un faux mouvement (…) Cette maladresse, ce déplacement superflu, cette accélération soudaine, cette soudure ratée, cette main qui s’y reprend à deux fois, cette grimace, ce « décrochage », c’est la vie qui s’accroche. Tout ce qui, en chacun des hommes de la chaîne, hurle silencieusement : « Je ne suis pas une machine ! »

"Rien n’a changé à l’atelier de soudure depuis ce premier jour de septembre 1968 – mon éphémère affectation à la soudure à l’étain. À dix mètres de moi, Mouloud refait indéfiniment les mêmes gestes. Bâton d étain, coup de chalumeau, va-et-vient de la palette, une courbure lisse (je sais que l’impression de facilité n’est qu’apparente, qu’il faut maîtriser sa main au millimètre près, contracter ses muscles et ses nerfs, contrôler avec précision la pression de ses doigts). (…) Une 2CV faite, une autre à faire… Je calcule. Cent cinquante par jour. Deux cent vingt jours par an. En ce moment, fin juillet, il doit en être à peu près à la trente-trois millième. Trente-trois mille fois dans l’année, il a refait les mêmes gestes. Pendant que des gens allaient au cinéma, bavardaient, faisaient l’amour, nageaient, skiaient, cueillaient des fleurs, jouaient avec leurs enfants, écoutaient des conférences, se goinfraient, se baladaient, parlaient de la Critique de la Raison pure, (…) pendant que le soleil se levait sur Grenade et que la Seine clapotait doucement sous le pont Alexandre-III, pendant que le vent couchait les blés, caressait l’herbe des prairies et faisait murmurer les feuillages dans les bois, trente-tois mille carcasses de 2CV ont défilé devant Mouloud depuis septembre, pour qu’il soude trente-trois mille fois le même interstice de cinq centimètres de long, et chaque fois il a pris son bâton d’étain, son chalumeau, sa palette. Droit, les tempes grises, les yeux un peu usés, quelques rides supplémentaires, me semble-t-il."

« Nous vivons dans le monde des choses, des faits, des gestes, qui est le monde du temps. Notre effort incessant et inconscient est de tendre en dehors du temps, vers l’instant extatique qui réalise notre liberté. Il arrive que les choses, les faits, les gestes — le passage du temps — nous promettent de ces instants, les recouvrent, les incarnent. Ils deviennent symboles de notre liberté. Chacun de nous est riche de ces choses, de faits et de gestes qui sont les symboles de son bonheur — ils ne valent pas en soi, par leur nature, mais ils nous invitent, nous appellent, ce sont des symboles. »
Pavese, Le métier de vivre.

« Le corps est le premier et le plus naturel instrument de l'homme. Ou plus exactement, sans parler d'instrument, le premier et le plus naturel objet technique, et en même temps moyen technique, de l'homme, c'est son corps. »
Marcel Mauss, les techniques du corps (1872-1950)

« Je dois avouer qu’il n’est rien d’aussi étrange pour moi que mon propre corps ; je préfère n’importe quel autre élément de la nature, ou presque. »
Henry David Thoreau (1817-1862)

« Nous bougeons en fonction de l’image que nous avons de nous-mêmes, et non en fonction de notre structure. »
« La façon dont une personne tient ses épaules, sa tête et son estomac ; sa voix et son expression ; son équilibre et sa façon de se présenter — tout est fondé sur son image de soi. Mais cette image peut être réduite ou accrue pour s’adapter au masque au travers duquel son possesseur aimerait être jugé par ses pairs. Seule cette personne peut savoir ce qui est réel et ce qui est fictif dans son aspect extérieur. »
Moshe Feldenkrais (1904-1984)

« Une posture ou position, c’est-à-dire la manière dont une personne se tient debout ou assise, est le résultat de ce que fait cette personne. C’est une action à part entière et non simplement une situation. »
Lawrence Godfarb, Articuler le changement, 1998

« Comme c’est étrange, cette sensation qu’on a parfois, dans l’extrême solitude physique, de valoir autant, d’être aussi présent, énergiquement présent, que les grands de ce monde qui dans nos moments de détresse blanche, nous écrasent. »
Georges Perros , Papiers collés 

« Qu’il s’agisse du corps d’autrui ou de mon propre corps, je n’ai pas d’autre moyen de connaître le corps humain que de le vivre... ».
« La connaissance de mon corps est celle de mon schéma postural. »
« Le comportement est la partie visible de l’organisme et ce par quoi l’organisme se rapporte à son milieu. Le monde se creuse à l’endroit où apparaissent des comportements. »
« Les autres hommes ne sont jamais pour moi pur esprit : je ne les connais qu’à travers leurs regards, leurs gestes, leurs paroles, en un mot à travers leur corps. »
« Il s’agit de saisir l’humanité comme une autre manière d’être corps. »
Maurice Merleau-Ponty (1908-1961)

« La pensée est faite de l’être créé par son mouvement. »
Gaston Bachelard (1884-1962)

Sur l’emploi / Le mode de mon emploi

« Chacun a un droit particulier sur sa propre personne, sur laquelle nul autre ne peut avoir aucune prétention. Le travail de son corps et l’ouvrage de ses mains, nous le pouvons dire, sont son bien propre. ».
John Locke (1632-1704)

« L’homme le plus heureux est celui qui travaille. La famille la plus heureuse est celle dont tous les membres emploient utilement leur temps. La nation la plus heureuse est celle dans laquelle il y a le moins de désoeuvrés. L’humanité jouirait de tout le bonheur auquel elle peut prétendre s’il n’y avait pas d’oisifs. »
Saint-Simon (1760-1825) Introduction aux travaux scientifiques du XIXème siècle.

« Le XXème siècle n’est plus celui du travail mais de l’emploi : il revient à l’Etat de garantir à chacun un poste à partir duquel il aura accès aux richesses et une place dans la vie sociale. L’emploi, c’est le travail considéré comme structure sociale, c’est-à-dire comme ensemble articulé de places auxquelles sont attachés des avantages et comme grille de distribution des revenus. L’emploi, c’est le travail salarié dans lequel le salaire n’est plus seulement la stricte contrepartie de la prestation de travail, mais aussi le canal par lequel les salariés accèdent à la formation, à la protection, aux biens sociaux. L’essentiel est donc que chacun ait un emploi. »
Dominique Méda, Le travail, une valeur en voie de disparition ? 2010

«  (…) mettre le travail au centre de la société, justifier le travail comme lien social, c’est défendre une idée éminemment pauvre de celui-ci, c’est refuser que l’ordre politique soit autre que l’ordre économique ou que la simple régulation sociale, c’est oublier que la société a d’autres fins que la production et la richesse et que l’homme a d’autres moyens de s’exprimer que la production ou la consommation. »
Dominique Méda, Le travail, une valeur en voie de disparition ? 2010

« Il y aurait donc une double spécificité française dans le rapport au travail : une valeur plus forte accordée au travail ; une déception plus grande infligée par la réalité des conditions de travail et d’emploi aux attentes énormes posées sur le travail. »
Dominique Méda, Le travail, une valeur en voie de disparition ? 2010

« Cette situation nous a fait prendre pour règle ce qui n’a jamais été qu’une exception historique : le plein emploi, nous faisant oublier que l’emploi salarié ne doit pas être le seul vecteur de l’activité sociale, ni l’entreprise le seul lieu de socialisation… Accepter ce questionnement, c’est faire une distinction entre le travail et l’emploi salarié, qui n’en est qu’une forme parmi d’autres. C’est repenser le sens du travail, la place de l’emploi dans la vie des hommes et le rôle de l’entreprise dans la société. (…) Cela nous conduit à nous libérer de la stricte notion d’emploi pour retrouver le vrai sens du travail, conçu comme source d’accomplissement et de lien social et de subsistance pour l’homme. »

Centre des jeunes dirigeants L’illusion du plein emploi, Futuribles 1994, cité par Dominique Méda dans Le travail, une valeur en voie de disparition ? 2010

« L’emploi ne désigne pas seulement un objet d’échanges mais un statut professionnel, un statut qui protège le travailleur contre le risque d’altération de sa capacité de gain. »
Robert Castel, La montée des incertitudes, 2009.

« Qui a besoin de moi ? » est une question de la personnalité à laquelle le capitalisme moderne lance un défi radical. Le système répand l’indifférence. (…) Il répand l’indifférence dans l’organisation de l’absence de confiance, où il n’est aucune raison de se sentir nécessaire. Et il le fait en réorganisant les institutions dans lesquelles les individus sont jetables. De telles pratiques diminuent clairement et brutalement le sentiment de compter en tant que personne, d’être nécessaire aux autres. »
Richard Sennett, Le travail sans qualités,1998.

«-  Chez Carglass il y a un mot d’ordre c’est donnant-donnant. On va vous donner un emploi, des conditions de travail euh, de meilleure qualité possible, mais il faut aussi que vous respectiez les engagements, les valeurs de l’entreprise et puis ben l’exigence concernant la relation clients.
- C’est-à-dire qu’on veut que chaque client qui soit en contact avec Carglass se dise Waouh ! J’ai eu une expérience exceptionnelle. »
Extrait du film La mise à mort du Travail – l’Aliénation – Jean-Robert Viallet

« Je pense que dans une société où l’emploi devient de plus en plus précaire, de plus en plus discontinu, où le travail salarié stable et à plein temps cesse d’être la norme — ce qui est le cas pour 45% des Allemands, pour 55% des Britanniques et des Italiens, pour environ 40% des Français — et où, à l’échelle d’une vie, le travail ne représente plus qu’un septième ou un huitième du temps de vie éveillé après l’âge de 18 ans, les détenteurs du pouvoir économique et politique craignent par-dessus tout une chose : que le temps hors travail salarié puisse devenir le temps dominant du point de vue social et culturel ; que les gens puissent s’aviser de s’emparer de ce temps pour «s’employer» à y faire eux-mêmes ce qu’eux-mêmes jugent bon et utile de faire. »
André Gorz(1923-2007) /entretien accordé aux Périphériques.

« L’époque moderne s’accompagne de la glorification théorique du travail et elle arrive en fait à transformer la société tout entière en une société de travailleurs. (…)
C’est une société de travailleurs que l’on va délivrer des chaînes du travail (NDLR par le progrès technique et scientifique) et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté. (…) ce que nous avons devant nous c’est la perspective d’une société de travailleurs sans travail, c’est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire. »
Hannah Arendt (1906-1975) Conditions de l’homme moderne, 1958.

Un chômeur n'est même plus considéré comme un chômeur, mais comme un demandeur d'emploi. Et on a fait de la recherche d'un emploi un travail à plein temps. Gare au chômeur qui ne pourra pas prouver qu'il y a consacré tout son temps disponible : il pourrait y perdre sa faible indemnité. Tout cela au lieu de profiter de la situation pour développer l'aptitude de chacun au loisir, de créer par exemple la possibilité de prendre des années sabbatiques que chacun occuperait à sa guise. Qui sait encore se dire en se levant le matin : qu'est-ce que j'ai envie de faire aujourd'hui et que je n'ai jamais eu le temps de faire? Il faut libérer l'adolescent qu'on a étouffé en nous.
Alternatives économiques

« Le système nous veut triste et il nous faut arriver à être joyeux pour lui résister. »
Gilles Deleuze (1925-1995)

« Je travaille. A quoi ? Mais... à tout ; car la pensée
Est une vaste porte à chaque instant poussée
Par ces passants qu'on nomme Honneur, Devoir, Raison,
Deuil, et qui tous ont droit d'entrer dans la maison.
Je regarde là-haut le jour éternel poindre ;
A qui voit plus de ciel la terre semble moindre ; 

J'offre aux morts, dans mon âme en proie au choc des vents, 

Leur souvenir accru de l'oubli des vivants. 

Oui, je travaille, amis ! oui, j'écris, oui, je pense !
L'apaisement superbe étant la récompense 

De l'homme qui, saignant, et calme néanmoins,
Tâche de songer plus afin de souffrir moins. »
Victor Hugo, extrait du poème Je travaille

« J’habite le Possible — Maison
Plus belle que la Prose —
Aux Croisées plus nombreuses —
Aux Portes — plus hautes —

Des Salles comme les cèdres —
Imprenables par l’œil —
Pour Toit impérissable
Les Combes du Ciel —

Pour Visiteurs — les plus beaux —
Mon Occupation — Ceci —
Déplier tout grand mes Doigts étroits
Pour cueillir le Paradis — »
Emily Dickinson (1830-1886) Poème 657

« On atteint du reste toujours la sérénité à travers l’ennui. Même la douleur, pour devenir créatrice, doit d’abord devenir ennui. C’est là la raison pour laquelle nous avons besoin du loisir imaginatif pour créer. En lui l’ennui se coagule et devient idées. »
Cesare Pavese (1908-1950), Le métier de vivre.

« (…) me voilà sérieusement occupé du sage projet  d’apprendre par cœur tout le Regnum Vegetabile de Murray et de connaître toutes les plantes connues sur la terre. (…) Les plantes semblent avoir été semées avec profusion sur la terre comme les étoiles dans le ciel, pour inviter l’homme par l’attrait du plaisir et de la curiosité à l’étude de la nature ; (…) La botanique est l’étude d’un oisif et paresseux solitaire : une pointe et une loupe sont tout l’appareil dont il a besoin pour les observer. Il se promène, il erre librement d’un objet à l’autre, il fait la revue de chaque fleur avec intérêt et curiosité, et sitôt qu’il commence à saisir les lois de leur structure il goûte à les observer un plaisir sans peine aussi vif que s’il lui en coûtait beaucoup. Il y a dans cette oiseuse occupation un charme qu’on ne sent que dans le plein calme des passions mais qui suffit seul alors pour rendre la vie heureuse et douce ; »
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) Les rêveries du promeneur solitaire, septième promenade.

Sur la généalogie / Généalogie familiale, technologique, imaginaire des métiers

Innovation : Internet agit comme innovation car c’est un catalyseur de changements sociaux, économiques et culturels. Internet est le symbole de la société irriguée par des réseaux numériques de communication.
Serge Proulx, La révolution Internet en question

La construction du gratte-ciel, Georges Oppen

L’ouvrier sur la poutrelle a appris
À ne pas regarder en bas et travaille
Et il y a des mots que nous avons appris
À ne pas regarder,
Evitant de chercher la substance qui gît
En dessous. Mais nous sommes au bord
Du vertige.

Il y a des mots qui ne signifient rien
Mais il y a quelque chose à signifier.
Non pas une déclaration incarnant la vérité
Mais une chose
Qui est. C’est le travail du poète
« De subir les choses du monde
Et de les dire à travers lui ».

Ô, l’arbre, qui pousse au milieu du trottoir —
Il possède une vie infime, faisant éclore
Ses petits bourgeons verts
Dans la culture des rues.
Nous regardons
Trois cents ans en arrière, nous voyons le paysage vierge.
Et nous avons le vertige.

« En produisant toujours de nouveaux artifices, les hommes construisent des éléments qui les écrasent en retour. Cette instrumentalisation se retourne contre l’homme et contre la société : les rapports entre les hommes eux-mêmes se chosifient ; c’est lorsque l’homme est une chose que la barbarie peut se développer. »

« Le travail humain est aujourd’hui si imbriqué dans un ensemble de machines et de systèmes que son efficace ne peut être distinguée de la leur. »
Dominique Méda,  Le travail, une valeur en voie de disparition ? 

« Comment décider de ce qui a une valeur durable pour nous dans une société impatiente qui ne s’intéresse qu’à l’immédiat ? »

« Ce qui est vraiment nouveau, c’est le terrible paradoxe que j’ai aperçu dans la boulangerie. Dans ce lieu de travail flexible à la pointe de la technologie, les travailleurs se sentent personnellement avilis par leur façon de travailler. Dans ce paradis des boulangers, eux-mêmes ont du mal à comprendre leur réaction. Sur le plan du fonctionnement, tout est clair ; sur celui des émotions, la situation est illisible.
La boulangerie informatisée a profondément changé le ballet des activités physiques. Désormais, les boulangers n’ont plus le moindre contact physique avec les matériaux ou les miches de pain ; ils surveillent tout le processus grâce à des icônes qui apparaissent sur l’écran et dont la couleur, par exemple, les renseigne sur la température et le temps de cuisson des fours. Rares sont les boulangers qui voient réellement le pain qu’ils font. Leurs écrans de travail ressemblent à tous les écrans équipés de logiciels Windows. Sur l’un d’eux, il y a des icônes correspondant à plus de variétés de pain qu’on n’en a jamais cuit par le passé : des miches de pain russe, italien ou français, qu’une simple pression du doigt sur l’écran suffit à produire. Le pain n’est plus qu’une image sur un écran.
À force de travailler ainsi, les boulangers ne savent plus vraiment comment on fait le pain. (…) Tributaires de leurs programmes, ils manquent de cette connaissance qui s’acquiert en mettant la main à la pâte. Le travail a cessé d’être lisible pour eux. Ils ne comprennent plus ce qu’ils font.
(…)
À des niveaux de travail technique supérieurs, l’arrivée de l’ordinateur a enrichi le contenu de nombreux emplois.(…) Une étude sur les effets de la CAO (Conception Assistée par Ordinateur) dans un groupe d’ingénieurs civils et d’architectes travaillant pour la ville de New York met en évidence un aspect beaucoup plus positif de la technologie. La possibilité de manipuler des images à l’écran excitait des gens habitués à dessiner à la main :
« Au début, j’ai cru que ce serait simplement des appareils à dessiner, leur déclara l’un des architectes. En fait je suis tout excité ; ça me permet de manipuler et de décomposer n’importe quel dessin. Je peux l’étirer, le déplacer, en retirer d’importe quelle partie . » (…) un architecte formula cette objection : « Quand vous dessinez un site, quand vous placez les lignes et les arbres, cela se grave dans votre esprit. Vous finissez par connaître le site mieux que ce n’est possible avec l’ordinateur.
Vous apprenez à connaître un terrain en le dessinant et en le redessinant, plutôt qu’en laissant l’ordinateur le « regénérer » pour vous. »
Richard Sennett, Le travail sans qualités.

« Le travail à distance, rendu possible par la mise en réseaux, permet de déterritorialiser l’accomplissement des tâches hors de l’entreprise et de les faire exécuter par des travailleurs « indépendants » pouvant répondre au coup par coup à la demande et assurer une flexibilité maximale. À la limite, la figure du prestataire de services qui négocie lui-même à ses risques et périls ses conditions d’emploi se substitue à celle du travailleur salarié inscrit dans des systèmes de régulation collective ; à la limite aussi, la conception de l’entreprise comme collectif de travail s’estompe pour devenir un espace virtuel où s’échangeraient des services entre prestataires « indépendants ». En poussant à bout cette logique, on peut commencer à rêver à une entreprise sans travailleurs. »
Robert Castel, La montée des incertitudes.

« Pour la première fois en période de paix, la génération qui précède ne laisse pas aux suivantes un monde meilleur à l’entrée dans la vie.»
L. Chauvel, Une société face à sa jeunesse, Sciences Humaines, n°4, 2006

« Chaque génération doit à la suivante ce qu’elle a reçu de ses devancières, un ordre social établi.»
Ernest Renan (1823-01892)

« Un fils de cadre a cinq fois plus de chances d'être cadre qu'un fils d'ouvrier, et cinq fois moins de chances d'être ouvrier; les classes moyennes sont les plus mobiles. Quelques différences apparaissent néanmoins. Les chances de réussite des fils d'ouvriers s'améliorent, ce qui est probablement la conséquence de l'évolution interne de ce groupe social (la proportion d'ouvriers qualifiés a nettement augmenté parmi les ouvriers). Inversement, les chances d'ascension sociale des fils d'employés ou de professions intermédiaires sont en baisse. Au total, le degré d'inégalité des chances, mesuré par la mobilité nette (*), a un peu augmenté en vingt-cinq ans.
(…) Un professeur d'école fils d'instituteur occupe-t-il la même position que son père ? Le niveau de diplôme de l'instituteur est élevé dans les générations nées entre 1930 et 1950, mais l'est nettement moins dans les générations nées entre 1960 et 1980. Sous l'apparence de la stabilité, il y a donc ici un certain déclassement.
(…) Est-ce la même chose d'avoir un père instituteur fils d'ouvrier ou un père instituteur fils de conseiller d'Etat ?
Alternatives économiques, 2007.

« La porte
La porte de l’hôtel sourit terriblement

Qu’est-ce que cela peut me faire ô ma maman>
D’être cet employé pour qui seul rien n’existe

Pi-mus couples allant dans la profonde eau triste

Anges frais débarqués à Marseille hier matin
J’entends mourir et remourir un chant lointain
Humble comme je suis qui ne suis rien qui vaille

Enfant je t’ai donné ce que j’avais travaille »
Guillaume Apollinaire, Alcools

« mon père et ma mère
sans cesse je pense à eux
le cri du faisan »
Basho (1644-1694)

« Par l’imagination nous abandonnons le cours ordinaire des choses. Percevoir et imaginer sont aussi antithétiques que présence et absence. Imaginer c’est s’absenter, c’est s’élancer vers une vie nouvelle. »
Gaston Bachelard (1884-1962), l’Air et les songes, 1934

« Je ne puis regretter profondément de n’avoir pas été empereur romain, mais je peux regretter amèrement de n’avoir pas adressé la parole à la petite couturière qui, vers neuf heures, tourne toujours à droite au bout de la rue. Le rêve qui nous promet l’impossible, de ce fait même nous en prive déjà ; mais le rêve qui nous promet le possible intervient dans la vie elle-même et y délègue sa solution. »
Fernando Pessoa (1888-1935), Le livre de l’intranquillité.

Le cœur au travail

« (…) dans notre type de société, l’influence du travail sur l’opinion qu’a l’homme de lui-même est plus importante que celle d’aucune autre de ses activités sociales. Une pression considérable s’exerce donc sur l’individu pour le pousser à trouver son travail acceptable : le contraire équivaudrait pour lui à admettre qu’il ne se trouve pas acceptable. »
J.H Goldhorpe in D.Méda, Le travail, une valeur en voie de disparition ? 

« Faire quelque chose qui ne soit pas un but en soi (…) mais qui soit dirigé vers une œuvre, donne de la sérénité parce que cela interrompt l’ennui sans nous engager dans une chaîne subie de sensations et de sentiments, et en nous permettant de voir de haut (sérénité) un organisme qui accepte de nous des lois (notre œuvre).
L’éloge le plus grand que l’on puisse faire de tout le travail humain et donc aussi de l’art, c’est qu’il nous permet de vivre dans la sérénité, c’est-à-dire d’échapper au déterminisme et d’imposer nous-mêmes une loi à la matière et de contempler l’action de celle-ci avec désintéressement. »
C. Pavese, Le métier de vivre

« L’échec est le grand tabou moderne. »
« S’accommoder d’un échec, lui donner une forme et une place dans l’histoire de sa vie peut prendre un tour obsédant, mais il est rare qu’on en discute avec les autres. (…) De même qu’avec tout ce dont nous craignons de parler franchement, l’obsession et la crainte ne font que croître, tandis que rien ne vient atténuer la violence du verdict intime : « Je ne suis pas assez bon. »
« Ne pas faire carrière par son travail, si modestes que soient sa nature et sa rémunération, c’est s’abandonner au sentiment de désorientation qui constitue l’expérience la plus profonde de l’insuffisance : comme on dit aujourd’hui , il faut « faire son chemin » ;
Richard Sennett, Le travail sans qualités

« Artisans de notre vie, artistes même quand nous le voulons, nous travaillons continuellement à pétrir, avec la matière qui nous est fournie par le passé et par le présent, par l’hérédité et les circonstances, une figure unique, neuve, originale, imprévisible comme la forme donnée par le sculpteur à la terre glaise. »Henri Bergson, Le possible et le réel

« Pour un être conscient, exister consiste à changer, changer à se mûrir, se mûrir à se créer indéfiniment soi-même. »
Henri Bergson, L’évolution créatrice

« Je n'ai pas échoué. J'ai simplement trouvé 10.000 solutions qui ne fonctionnent pas. »
Réponse que donna Thomas Edison à un journaliste qui l’interrogeait sur les multiples échecs de ses expériences.
« La plupart des échecs sont perpétrés par des individus qui n’ont pas su réaliser à quel point ils étaient proches de la réussite quand ils ont décidé de baisser les bras. »
« Si nous faisions toutes les choses que nous sommes capables de faire, nous serions absolument étonnés de nous-mêmes. »
Thomas Edison

« Il est hésitant comme quelqu’un qui traverse une rivière en hiver ; indécis comme quelqu’un qui a peur de ses voisins ; respectueux comme un invité ; tremblant comme la glace qui est sur le point de fondre, simple comme un morceau de bois pas encore sculpté ; vide comme une vallée ; informe comme une eau troublée. » Okakura Kakuzo